Pour parents
/
0 Comments
/
« On est passé de l’enfant roi à l’enfant Dieu » (Diane Drory)

Un super article dans La Libre Belgique ce 15 janvier 2023. Cet article est une interview de Diane Drory, psychanalyste.

Lien de l’article : https://www.lalibre.be/debats/opinions/2023/01/15/diane-drory-on-est-passe-de-lenfant-roi-a-lenfant-dieu-66MDYTPNEJCJ7K5BWSBVYFGSCM/

En voici l’extrait qui reprend ce qu’il y a de plus important à lire :

Vous avez 45 ans de pratique, quelle est l’évolution marquante que vous avez constatée ?

Les problématiques ne sont plus les mêmes. La violence ne se manifeste plus de la même façon. Aujourd’hui, je vois de plus en plus de très jeunes enfants. À présent, le grand thème ce sont les insomnies de leur enfant et les difficultés des parents à gérer les crises de leur enfant de deux trois, ou quatre ans. Cela révèle le grand état d’angoisse des enfants qui déstabilise les parents.

Un grand débat divise, les psys en France mais aussi en Belgique : la parentalité exclusivement positive. De quoi s’agit-il ?

Ce concept suppose que l’on ne doit jamais dire “non” à l’enfant. Les parents de la parentalité exclusivement positive estiment qu’il faut toujours voir comment arriver à persuader l’enfant que ce qu’on lui demande est ce qu’il a envie de faire ! Tout cela dans le plus grand calme, et à force de multiples explications et justifications. Cela peut marcher avec certains enfants. Mais tous les enfants ne sont pas comme cela. Certains ont besoin de limites, de discipline. Il est sain et normal qu’un enfant désobéisse et se rebelle face à la limite. Pour se rencontrer, il faut savoir être dans l’opposition et le conflit. Si on n’est jamais dans le conflit, on est l’un à côté de l’autre, l’enfant n’a pas l’occasion de trouver qui il est, quels sont les éléments qui le constituent. Le conflit, la confrontation sont essentiels dans l’éducation.

Les tenants de la parentalité exclusivement positive prônent surtout la bienveillance…

Ce mot “bienveillance” commence à me fâcher… La bienveillance, c’est très bien, en soi, bien sûr. Mais de plus en plus, au nom de la bienveillance, on assiste à un abandon de la responsabilité parentale. Au nom de la bienveillance, on demande à l’enfant de s’auto-éduquer. Au nom de la bienveillance, on ne met plus de limites à l’enfant. Un exemple : je reçois des parents et un enfant qui ne voulait pas manger. Ou alors petit pois par petit pois. Une collègue, partisane de la parentalité exclusivement positive, avait conseillé que tout le monde reste à table autour de lui jusqu’à ce qu’il ait terminé son assiette. Les repas devenaient interminables et le petit ne mangeait évidemment pas mieux. Non, il faut revenir au bon sens : quand le repas est terminé, l’assiette part.

Quelle est la responsabilité parentale ?

Éduquer, transmettre ! Car au nom de cette bienveillance, certains parents n’osent plus se positionner en tant qu’adulte qui prend ses responsabilités. Un enfant a le droit d’être éduqué et les parents ont l’obligation de transmettre des règles. Quand on attend d’un enfant qu’il s’humanise de lui-même, qu’a-t-il comme repère ? Uniquement son ressenti et sa pulsion. S’il n’a pas tout de suite le verre d’eau qu’il veut, il pique une colère parce qu’on ne lui a pas appris qu’il fallait attendre. Un enfant qu’on laisse s’auto-éduquer, pardon pour le mot, mais il peut tomber dans la barbarie. Alors que le rôle des parents est l’humanisation, la transmission des valeurs.

Les partisans de la parentalité exclusivement positive affirment que, dans le monde entier, dans toutes les cultures et religions, les enfants ont été ou sont encore humiliés verbalement et physiquement que cela nuit à leur développement intellectuel, cognitif…

Mettre des limites, est-ce humilier ? Des parents se présentent à moi et expliquent qu’ils ont une patience infinie. Mais ils n’en peuvent plus. Je leur conseille de mettre un terme à leur patience ! Il ne faut pas avoir une patience infinie sinon les parents, à bout, vont dire des choses bien pires que d’imposer des limites. Dans ma consultation, j’entends des parents “bienveillants” dire des horreurs à leur enfant qui est là, à leurs côtés. Ils disent : “Vous ne vous rendez pas compte, il me pompe l’air. Depuis qu’il est arrivé, notre vie est un enfer, etc”. Cela, c’est humiliant.

De plus en plus de parents souffrent de burn-out parental

Avant ce concept n’existait quasiment pas. Depuis quelques années, je vois des parents qui n’en peuvent plus parce qu’on est passé de l’enfant roi à l’enfant dieu, devant lequel il faut s’incliner. Un enfant dont il faut satisfaire, dans l’instant, le désir parce que l’enfant saurait mieux que personne ce qui est bon pour lui. Non ! C’est dramatique. L’enfant sait s’il a faim ou pas. Mais il ne sait pas s’il est mieux de manger avec les mains ou les couverts. Il faut le lui apprendre.

Qui sont les premières victimes de la parentalité exclusivement positive ?

Ce sont les enfants eux-mêmes ! Ils se retrouvent sans limite, sans cadre et donc dans des états d’angoisse terrible. Ils ne dorment plus, ils font des crises à répétition. L’angoisse ne permet pas au cerveau neurologique de se construire correctement. Les deuxièmes victimes, ce sont les parents que je recueille épuisés.

Que deviennent ces “enfants dieu” lorsqu’ils arrivent dans un cadre plus contraignant, à l’école ?

Cela dépend jusqu’où ils sont dieu… Certains sont enfin rassurés à l’école parce que là, au moins, il y a des règles. Et les parents me disent : à la maison ils sont infernaux mais à l’école tout se passe bien. Ces enfants sont encore aptes à intégrer des règles et cela les apaise. D’autres sont ingérables à la maison ET à l’école. Et les professeurs sont à leur tour victimes, ils sont à bout car ils sont confrontés à des enfants qui ne savent pas se taire, qui mettent les pieds sur les bancs, qui refusent de faire des dictées “parce qu’ils n’ont pas envie”. Ces enfants deviennent soit ultra-narcissiques, soit violents avec les autres.

L’enfant ne naît-il pas naturellement empathique ?

Si, bien sûr. Il naît empathique et avec l’envie de tout comprendre et de tout découvrir. Il est ouvert au monde. Mais empathique ne veut pas dire que chaque enfant naît bon, généreux et qu’il a spontanément l’envie de faire passer l’autre avant lui. Il est aussi égoïste : il pense à lui, il voit le monde à travers son filtre. Il apprend en grandissant à se mettre à la place de l’autre. Un jeune enfant est autocentré. Il croit que quand il crie, sa mère doit tout de suite venir. Le danger est de considérer que le monde est à l’image du royaume familial… Il m’arrive de recevoir des parents qui habillent leurs enfants jusqu’à six ou sept ans parce qu’ils refusent de se vêtir seuls.

Autre débat : le time out. Faut-il mettre un enfant dans sa chambre quand il fait une crise ?

Ce débat est le reflet de notre société dans laquelle les technocrates croient pouvoir imposer leurs théories aux gens de terrain. Le Time out consiste à éloigner l’enfant pendant un certain temps, après un comportement jugé inacceptable pour résoudre une crise passagère. Pas dans la cave, évidemment, là on crée de l’humiliation, de l’angoisse. Mais en cas de conflit, il n’y a rien d’anormal ou d’humiliant à envoyer une enfant dans sa chambre. Il s’agit simplement de lui dire : va te calmer, va jouer dans ta chambre. Et quand tu seras calme, tu reviendras. Mais les soi-disant experts estiment que la mise à l’écart en cas de conflit est une pratique non bienveillante. Mais un enfant qui fait une crise, par exemple, parce qu’il veut son bonbon avant le repas, n’entend rien. S’il hurle, il risque de pousser l’adulte à bout de patience et à hurler aussi. Parce que, simplement, notre patience a des limites, nous sommes des humains. C’est comme dans un couple qui a des difficultés : la solution est de mettre de la distance… C’est le Ba-Ba de la résolution d’un conflit, d’une incompréhension. On se pose, on réfléchit et on en parle. Le Time out est un outil de base sain, non agressif de l’éducation. Il empêche la violence verbale lorsque les parents sont à bout.

Dans votre livre, “Au secours je manque de manque” plusieurs fois réédité, vous pointiez déjà une sorte de dérive : à force d’être protégés, couvés, certains enfants ne connaissent plus le manque.

Il n’y a jamais eu autant de demandes consultations infantiles. Depuis les années 2000, cela va en s’accentuant. C’est un phénomène de société. Dans les crèches, les puéricultrices n’en peuvent plus. On m’a rapporté cette histoire : une maman dépose son gamin d’un an et demi qui hurle “veux pas rester, veux clés maman…” Qu’a fait la maman ? Elle a laissé les clés de sa voiture au bambin et est partie à pied au boulot… ! Les parents sont prêts à tout pour ne pas avoir de crise. Mais c’est un cercle vicieux car les enfants sont de plus en plus exigeants, veulent que le monde tourne autour de leurs désirs et leurs ressentis.

Vous considérez donc que la frustration n’est pas humiliante mais peut, au contraire, être constructive.

Oui, bien sûr. Si un enfant n’est jamais confronté à la frustration, comment va-t-il grandir ? Dans la vie, tout le monde vit des frustrations. Cela se voit aujourd’hui : certains jeunes, qui entrent dans la vie professionnelle, éprouvent du mal à arriver à l’heure au boulot, à se plier aux horaires ; ils sont très exigeants sur les conditions de travail, la rémunération, les jours de congé, les avantages divers. Les entreprises ont beaucoup de mal à recruter. On a créé des enfants mal adaptés à la réalité.

N’est-ce pas le retour du balancier ? Les générations précédentes ont peut-être sacrifié une partie de leur vie de famille et ont tout donné à leur carrière ?

En effet, il ne faut pas caricaturer. Je trouve que la jeunesse actuelle est formidable, elle nous éveille à des préoccupations sociales et environnementales que nous avons sans doute trop longtemps ignorées. Je trouve très positif que dans les jeunes ménages actuels, les valeurs sont moins matérialistes : leur objectif dans la vie n’est pas que de gagner de l’argent. Le temps qu’ils passent à la maison, en famille, est important à leurs yeux. Le partage des tâches ménagères devient l’usage spontané entre le père et la mère. En revanche, qu’ils ne se sentent pas obligés de faire de leurs enfants des dieux…

Pratiquement, prenons quelques cas. Comment calmer une grosse colère ?

Un enfant n’est pas l’autre. Éloigner l’enfant, lui proposer d’aller dans sa chambre est une médication utile et efficace en cas de grosse colère “classique” ; quand l’enfant s’oppose presque par principe. Mais je nuance. Parfois l’enfant en colère éprouve une véritable angoisse. Celui-là, il ne faut pas l’envoyer dans sa chambre. Lorsque l’on sent que l’enfant se liquéfie, ce qui se produit parfois avec l’enfant dieu, il faut le prendre dans les bras, le serrer fermement contre soi en lui disant : “Ce n’est pas grave, mais c’est comme cela. Dans toutes les familles, il y a des règles”. Cet enfant dieu, lorsqu’on ne fait pas ce qu’il veut, a le sentiment de n’être plus rien. Et quelqu’un qui se sent n’être plus rien, on ne l’envoie pas dans sa chambre ! Il faut être attentif aux types de crise. L’art est de détecter la colère classique de la véritable crise d’angoisse.

Que faire quand un enfant ne dort pas la nuit ?

Le problème est fréquent. Il y a une phrase clé : les problèmes de la nuit se résolvent le jour. C’est la journée qu’il faut voir comment rassurer un enfant en posant des limites, en étant cohérent, conséquent dans ce que l’on demande, en tenant ses promesses. Si on dit : si tu n’obéis, tu n’iras pas ce week-end chez ta tante. Alors qu’ils iront de toute façon chez la tante, c’est incohérent. Si les parents sont cohérents, conséquents, cadrants, l’enfant dormira bien.

Faut-il accepter les enfants qui veulent dormir dans le lit des parents ?

Je n’ai pas d’avis arrêté. Tout dépend de l’âge. J’ai rencontré une maman qui prenait régulièrement son fils de dix ans dans son lit, ce n’est évidemment pas idéal…

Quelles sont les causes du harcèlement à l’école ?

Je pense sincèrement que ce sont les adultes qui en sont responsables. Voyez ces émissions Koh-Lanta dont l’objectif final est d’éliminer un candidat, le plus faible. Il s’agit donc de désigner le maillon faible, celui qui ne correspond pas aux critères. C’est un avis personnel mais je pense que ces émissions instillent petit à petit une mentalité d’exclusion qui peut conduire au harcèlement. C’est le contraire de l’empathie. On ne pense pas à la manière dont on va intégrer le plus faible. L’objectif est d’éliminer. Dans les cours de récréation, on cherche le faible et on se coalise contre lui. Même celui qui a envie de le défendre n’osera pas le faire.

Comment gérer les enfants qui deviennent très tôt accros aux écrans ?

Quand un enfant entre dans mon bureau, au bout de cinq minutes, je sais s’il a été mis très tôt devant des écrans ou non. Dans la façon dont il réagit, dont il garde l’attention, dont il s’intéresse aux jeux, dans la façon dont il dessine. L’enfant qui regarde trop les écrans éprouve du mal à dessiner un bonhomme par exemple. Il y a un manque clair de créativité chez ces enfants-écrans. Chacun fait ce qu’il peut mais quand je vois une maman, elle-même accro à son téléphone qui le met dans les mains de son enfant d’un an dès qu’il commence à pleurer, je trouve cela problématique. Mais là encore, évitons de diaboliser : lors d’un long trajet en voiture, il n’y a pas de mal à proposer un jeu ou un film à l’enfant. Mais cela ne doit devenir une activité en soi pour éviter du désordre et des jouets partout dans le salon…

Quel est le principal conseil que vous donneriez aux parents ?

Qu’ils retrouvent tout simplement le bon sens. Qu’ils réfléchissent à la manière dont ils et elles ont été élevés : les a-t-on habillés jusqu’à l’âge de 7 ans, n’ont-ils jamais reçu une punition lorsqu’ils avaient un mauvais bulletin, n’ont-ils jamais été privés de sortie lorsqu’ils avaient désobéi ? Je dirais aussi qu’à partir d’un certain âge, un enfant doit prendre son bain seul, c’est son intimité, son corps.

Concluons par une déculpabilisation générale : il n’y a pas de parents parfaits…

Cela n’a jamais existé et cela n’existera jamais. Le but n’est d’ailleurs pas là. Le but est d’éduquer et d’humaniser. Nous avons tous fait des erreurs. Ce qui est grave c’est l’abdication de l’éducation. Laisser un enfant s’auto-éduquer, c’est abdiquer de sa responsabilité d’adulte. C’est plus facile de le laisser faire tout ce qu’il veut plutôt que de poser des limites et les faire respecter. Pousser les enfants à faire des efforts, cela demande du temps et les gens ont peu de temps. Quand un jouet tombe et que l’enfant est en capacité de le ramasser, il faut le laisser faire plutôt que se précipiter. Sinon, l’enfant estimera qu’il n’est pas capable de ramasser l’objet tombé. On en arrive avec les enfants dieu à cette situation paradoxale : au nom de la bienveillance certains parents laissent les enfants prendre des décisions de responsabilités qui sont celles des adultes. Et dans les petits gestes, les parents prennent des responsabilités dans le domaine de l’enfant ou de l’adolescent : on ramasse son linge dans sa chambre, on l’habille, on débarrasse son assiette.

La Libre Belgique : https://www.lalibre.be/debats/opinions/2023/01/15/diane-drory-on-est-passe-de-lenfant-roi-a-lenfant-dieu-66MDYTPNEJCJ7K5BWSBVYFGSCM/